Un nouveau cadre légal pour la recherche privée : impact sur le lieu de travail ?
Le 16 décembre 2024, la loi réglementant la recherche privée est entrée en vigueur. Cette loi remplace la loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé et modernise le cadre légal de la recherche privée. La recherche privée peut également se dérouler dans le cadre de la relation de travail, par exemple dans une situation où un employeur souhaite faire mener une enquête sur un cas de fraude au sein de l’entreprise. Que signifie cette loi pour les employeurs et les travailleurs ?
Quelles activités relèvent de cette loi ?
Cette loi s’applique aux « activités de recherche privée ». Il s’agit d’activités qui remplissent chacune des conditions suivantes :
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L’activité est exercée par une personne physique sur mission d’un mandant.
Le mandant peut par exemple être une entreprise qui emploie des travailleurs.
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L’activité implique le traitement d’informations sur des personnes physiques ou morales ou concernant les circonstances précises de faits commis par ces personnes.
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L’activité vise à fournir des renseignements au mandant afin de préserver ses intérêts dans le cadre d’un conflit (effectif ou potentiel) ou de retrouver des personnes disparues ou des objets perdus ou volés.
Les travaux préparatoires précisent que les « screenings pre-employment » effectués par un service du personnel et consistant à recueillir des informations sur un candidat sur Internet, auprès d’anciens employeurs ou auprès de personnes de référence communiquées par l’intéressé ne sont par conséquent pas considérés comme activités de recherche privée.
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L’activité ne relève d’aucun des motifs d’exclusion légaux.
Sont notamment exclues : les activités en exécution d’obligations ou de missions légales du mandant qui ne poursuivent pas comme objectif propre la recherche privée. Les travaux préparatoires citent comme exemple la recherche indépendante du conseiller en prévention dans le cadre de la législation sur la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, et les activités d’enquête dans le cadre de la réglementation en matière de lanceurs d’alerte. Mais attention : cette exclusion ne s’applique pas si les résultats de la recherche sont utilisés à d’autres fins.
Le législateur n’a pas accédé à la demande du Conseil National du Travail d’exclure explicitement les actes de surveillance dans le cadre de l’autorité de l’employeur. Il conviendra donc d’examiner la situation au cas par cas.
Qui peut exercer ces activités de recherche privée ?
Les activités de recherche privée peuvent uniquement être exercées par :
- des services internes autorisés pour la recherche privée ; et
- des entreprises autorisées pour la recherche privée (il s’agit de prestataires de services externes).
Les services internes de recherche privée sont des services ou sections au sein d’une entreprise qui effectuent de manière structurelle des activités de recherche privée sur mission de l’entreprise elle-même. Les travaux préparatoires précisent que l’expression « de manière structurelle » signifie que l’activité figure parmi les tâches d’au moins un collaborateur.
Ces services et entreprises de recherche privée ne doivent pas seulement être autorisés. Les personnes qui dirigent ces services et entreprises, ainsi que les enquêteurs privés qui travaillent pour ces services et entreprises, doivent répondre à toute une série d’exigences légales. C’est personnes doivent également être titulaires d’une carte d’identification délivrée par le SPF intérieur. La loi prévoit bel et bien des dispositions transitoires.
Les membres d’un service du personnel qui, dans le cadre d’une enquête d’incidents, exercent de manière structurelle des activités de recherche à charge de travailleurs de l’entreprise pour les besoins propres de l’entreprise doivent également respecter la loi, mais sont exemptés des obligations en matière d’autorisation et de carte d’identification. Les travaux préparatoires citent les exemples suivants d’enquête d’incidents : une enquête menée après constat ou suspicion d’infraction, qui peut entre autres inclure : l’analyse d’images de caméras, la demande et l’examen de données en matière de contrôle d’accès, la lecture de serrures électriques ou de lecteurs de badges, l’interrogation de collègues, etc.
Quels sont les autres points d’attention importants de cette loi ?
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Toute entreprise et tout service interne de recherche privée doit disposer d’un DPD (délégué à la protection de données) interne ou externe.
À moins que la nouvelle loi ne l’autorise, les enquêteurs privés ne peuvent pas utiliser de moyens, de méthodes, de procédures ou mesures de contrainte qui sont régis pour les personnes investies de pouvoirs de police, pour les services de sécurité et de renseignement judiciaires et pour les agents de gardiennage.
Il existe également des domaines d’enquête interdits, par exemple les idées politiques, des données sur la santé (bien qu’il existe certaines exceptions), des données relatives à l'implication ou l'affiliation à des organisations syndicales ou mutuelles et concernant des conflits sociaux.
- Des conditions complémentaires étendues s’appliquent aux activités de recherche privée sous la forme d’une interview. Ainsi, la personne interrogée doit d’abord accepter l’interview par écrit et recevoir des informations détaillées au préalable.
- Avant chaque mission, le mandat et le mandataire doivent signer un document écrit de mission d’enquête qui contient certaines mentions obligatoires, notamment une description précise et explicite des intérêts légitimes du mandant.
Si le mandant est également l’employeur de l’enquêteur privé, aucun document de mission d’enquête n’est nécessaire, mais l’enquêteur privé doit tenir un registre des missions.
- Le mandataire doit remettre un rapport d’enquête écrit au mandant au plus tard un mois après le dernier acte d’enquête.
Le mandant dispose alors de 30 jours pour faire savoir par écrit au mandataire s’il donnera suite ou non au rapport final. Si le mandant n’y donne pas suite, il doit détruire toutes les données. Si le mandant donne suite au rapport final et/ou aux données à caractère personnel qui y sont traitées, le mandataire doit d’abord en informer l’intéressé et toute autre personne identifiable. Le mandant ne peut pas utiliser les informations avant que les intéressés n’aient pu exercer leurs droits d’accès, d’ajout, de rectification ou d’effacement de données à caractère personnel.
- Quiconque enfreint la loi risque une amende administrative, avec ou sans avertissement. Certaines infractions entraînent la nullité des conclusions de l’enquête.
- Les entreprises, les services internes et les organismes de formation de recherche privée doivent payer une redevance et des frais administratifs.
De quoi les employeurs doivent-ils encore tenir compte ?
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Le travail d’enquête non structurel mené par une entreprise en interne sur ses propres travailleurs ne relève pas de la loi. Bien entendu, il convient bel et bien dans ce contexte de respecter l’autre législation applicable, notamment le Règlement général sur la protection des données.
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Lorsqu’un employeur fait effectuer du travail d’enquête sur ses propres travailleurs qui relève bel et bien de la loi, cet employeur doit au préalable instaurer un règlement de recherche interne. Ce règlement doit prévoir l’autorisation des travailleurs de réaliser des activités de recherche privée ainsi que des règles claires et transparentes sur les activités d’enquête qui peuvent avoir lieu sur le lieu de travail et sur leur déroulement.
Les employeurs disposent d’un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi, soit jusqu’au 15 décembre 2026 inclus, pour mettre en œuvre un tel règlement. Les employeurs qui ne respectent pas ce délai ne pourront plus effectuer d’activités de recherche privée à l’égard de leurs travailleurs passé ce délai.
Ce règlement peut revêtir la forme d’une politique et doit faire l’objet d’une information et consultation préalable du conseil d’entreprise. S’il n’y a pas de conseil d’entreprise mais bien une délégation syndicale, il est recommandé d’en informer celle-ci.
Entrée en vigueur
Cette nouvelle loi est entrée en vigueur le 16 décembre 2024.
Source :
Loi du 18 mai 2024 réglementant la recherche privée, MB 6 décembre 2024
Avis n°2.399 du 19 décembre 2023 du Conseil National du Travail